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Un été sur cette plage

« Tu vas bien avec l’été ». C’est une fille avec qui je flirtais qui m’a dit ça un jour. Elle aussi était arrivée à point nommé. Je sortais d’une relation longue, d’une année longue, d’un mémoire long, j’avais besoin de vacances à tous les niveaux. On s’est rencontré à bord d’un train qui laissait Paris à 300km/h. Derrière les vitres, le paysage défile à toute vitesse, je me prépare au farniente sur le faux cuir des sièges SNCF. On commence à parler par hasard et puis on joue au Uno sur la table pliante. Je ne suis pas concentré sur la partie, elle non plus. On s’interrompt toutes les deux minutes.

Le soleil illumine le wagon, ça sent trop l’été pour prendre le jeu au sérieux. De cette semaine, je ne me rappelle pas la mer chagrine qui jouait à me repousser avec ses vagues, ni de l’air marin qui chatouillait mes joues. Plus très bien non plus du sucre des cocktails que la nuit déposait sur mes lèvres. Ce dont je me souviens, c’est de sa peau, de nos regards provocateurs, de nos rires qui s’enfuient sur le sable. De ces discussions la nuit à voix basse, avec cette intonation absurdement grave. De nos caresses qui ont fait défiler les jours de cette semaine comme les pages d’un calendrier.

Sans vraiment réaliser que ce jour arriverait, on s’est arrangé pour prendre le même train au retour. Il allait toujours aussi vite mais dans une autre direction. Le paysage défile à toute vitesse, on joue au Uno. Cette fois, j’ai un instant d’hésitation avant de poser ma carte. Le train s’arrête à une gare et quand il repart, l’aiguilleur siffle. Je la regarde, comprends que la récréation est terminée et quelque chose se déchire en moi : je crois que je suis en train de prendre le jeu au sérieux.

Je ressens un vertige mélancolique, une pulsion incontrôlable. La déesse de l’été fronce les sourcils, désapprouvant mon incartade à sa légèreté. J’en ai parlé à Ophélie, juste avant qu’elle descende. Je n’aurais pas dû. Ça nous aurait évité les promesses qu’on fait toujours dans ces moments-là, les grands discours, l’automne qui tombe en plein mois d’août.

On s’est quand même revus, quelques mois plus tard. Pas de sable sur le béton parisien, juste quelques mouettes au-dessus de l’air pollué. Son écharpe avait pris la place du paréo, et ma serviette servait à ranger les documents que mon n+1 attendait pour lundi. Assis en terrasse, en plongeant mes yeux dans les siens, une gorgée de café dans la bouche, je compris qu’Ophélie n’aurait plus jamais le goût de l’été.

C’était un autre son, un autre rythme. Les vestiges de notre amour dormaient quelque part sous la mer, reliques d’une civilisation perdue. On a bien cherché à la retrouver, mais du béton avait poussé sur l’océan. On a du s’y résoudre : l’épisode était passé, ça n’était plus la même saison.

Mais je crois qu’il y a encore, gravé quelque part sur le sable, le cœur et les obscénités qu’on avait dessinés du bout des doigts un soir d’ivresse, un été sur cette plage.

Adieu Ophélie, j’ai toujours ton coquillage.

Par Jean Dizian | @lunesnoires

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