Tolstoï : L’amour à l’épreuve du quotidien (partie 1)
Imaginez un instant Tolstoï, plume à la main, observant notre époque moderne où les rencontres se font à coups de « swipe » et où les relations se tissent sur nos écrans. Comment l’auteur, dont les œuvres dépeignent si bien les possibilités amoureuses, réagirait-il face à notre quête contemporaine de l’âme sœur ? Loin de ses salons du XIXe siècle, Tolstoï, de son regard perçant, nous offrirait sans doute quelques précieuses réflexions afin de naviguer dans cet univers numérique.
Tolstoï et l’amour : entre passion et vérité
Dans ses grands romans, Tolstoï aborde l’amour sous toutes ses formes – dévorante, tragique, mais aussi apaisante et durable. Prenons l’exemple d’Anna Karénine, où Tolstoï montre deux conceptions de l’amour. D’un côté, la passion fulgurante et destructrice d’Anna pour Vronski, et de l’autre, l’amour paisible entre Lévine et Kitty.
L’histoire d’Anna et Vronski incarne le danger d’une passion sans fondement véritable, une illusion fragile qui s’effondre sous le poids de la réalité. Comme le dit Anna, éprise de cette relation tourmentée :
« Où que j’aille, il me poursuit ; c’est lui-même, toujours lui, qui occupe toute ma vie. [...] Je l’aime plus que tout au monde, et il m’aime. Nous nous sommes trompés en pensant que nous pouvions unir nos vies. » (Chapitre 3)
Cet amour aveugle qui absorbe tout finit par la consumer, au point de la mener à un désespoir fatal. Tolstoï nous rappelle ici les dangers d’un amour fondé uniquement sur l’émotion intense, sans profondeur ni stabilité.
À l’inverse, l’amour entre Lévine et Kitty, bien qu’hésitant au départ, se construit sur la vérité des sentiments et la compréhension mutuelle. Lévine, suite à de longs doutes, finit par comprendre que l’amour, loin d’être une passion éphémère, est un engagement envers l’autre :
« Il avait appris que, pour aimer quelqu'un, il ne suffit pas de se lier à elle dans un moment de passion, mais qu’il faut apprendre à aimer toute sa vie. » (Chapitre 8)
C’est cette conception de l’amour, patient et sincère, que Tolstoï privilégie. Au sein de ce nouveau monde, il prônerait sans doute la même approche : un amour-désir qui ne se précipite pas, qui prend le temps de grandir au fil des échanges et des découvertes mutuelles.
Le défi de l’immédiateté
Dans un monde où l’on peut « matcher » en digital, Tolstoï serait probablement fasciné, mais aussi inquiet de cette fulgurance. Lui qui prônait l’introspection et l’indolence dans la quête de l’amour verrait probablement un risque à ce culte de l’instantanéité. Dès lors une question se pose : peut-on réellement se connaître en quelques messages et une bribe de photos ?
« La vie est-elle donc finie pour moi ? demanda-t-il. Il n’y a donc plus que ce vide devant moi ? Ce vide que je ressens encore plus maintenant qu’auparavant ? » (Chapitre 23)
Voici l’abandon qui accompagne souvent les relations brèves, celles qui manquent de profondeur et de véritable affinité. Tolstoï, en fin connaisseur des tourments intérieurs de ses personnages, nous mettrait en garde contre cette superficialité que l’on peut rencontrer. Et nous inviterait à chercher au-delà des apparences plutôt que de nous laisser emporter par le tourbillon de l’abondance et des premières impressions.
Par @marivaude
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