Pourquoi je crains d'aimer
Je crains d’aimer parce que ma mère a quitté mon père et que, même si j’ai appris bien plus tard que leur histoire d’amour était plus complexe que je le pensais, mon cerveau l’a enregistrée. Je crains d’aimer parce que je n’ai jamais vu mes parents se disputer, mais qu’ils ont quand même fait le choix de se séparer. Longtemps, je n’ai pas su me disputer. J’ai préféré m’oublier. Je crains d’aimer parce que je me suis calquée sur l’attitude sensuelle et légère de ma mère pour qu’on m’aime, et que ça n’a pas toujours marché. Je crains d’aimer parce que cette attitude, qui est devenue la mienne, je l’ai avalée, et elle infusera dans mes veines jusqu’à ma mort.
Je crains d’aimer parce que la première fois que j’ai dit « je t’aime », je l’ai dit à un garçon qui ne m’a pas protégée quand on m’a traitée de pute au collège parce que je l’avais sucé. J’ai détesté le faire, mais il me l’avait demandé et, comme je l’aimais, j’ai accepté.
Je crains d’aimer parce que la première fois que j’ai ressenti le sentiment amoureux, le plus pur parce que le premier, je suis tombée amoureuse d’un ami qui, dès l’instant où la relation a mué, a posé sur moi un regard de chasseur dont la proie est prise et donc faite d’ennui. Je n’étais plus respectable puisque j’étais désormais baisable. Je crains d’aimer parce que le désir et l’amour sont deux choses bien différentes dans l’esprit d’un homme, quand elles ne font qu’une dans l’esprit d’une femme. Je crains d’aimer parce que je ne me suis pas respectée avec ce premier amant et que je n’ai pas su m’arrêter. À l’aube de ma vie amoureuse, j’apprenais le mauvais exemple dans les bras d’un mauvais maître. J’étais un feu qui s’embrase, une salope fabriquée. Obsédée par l’idée que l’amitié et l’amour ne peuvent disparaître une fois qu’on a fait du sexe. Obsédée à tort.
Je crains d’aimer parce que je suis terrifiée à l’idée que l’amour disparaisse en même temps que le jeu. Si je ne ris plus, je n’aime plus, et je sais pourtant qu’on ne peut pas rire tout le temps. Mais je connais la mort et le temps, et ces deux notions m’accompagnent dans la passion du jeu. La séduction ralentit le temps et fait oublier la mort. Je n’aime pas l’amour sérieux, mais je sais combien tous les enfants qui m’entourent aiment jouer à l’adulte et donc au déni du rêve. Je crains d’aimer parce que je connais trop bien le monde pour ne pas être jalouse et que cette jalousie me dévore parfois au point d’en être malade, excessive et folle.
Je crains d’aimer parce que je crains de ne plus aimer celui qui m’aime encore, d’être celle qui part, donc celle qui fait mal. Comme ma mère. Je crains d’aimer parce que je ne supporte plus de devoir dire à un homme en face : « Je ne t’aime plus », et percevoir dans ses yeux son monde qui s’écroule alors que je ne m’écroule pas, sentir le trou béant dans sa poitrine qui est une libération dans la mienne. Je crains d’aimer parce que je ne sais pas si j’aime mes amants comme j’aime mes amis : avec pureté. Je crains d’aimer parce que je crains d’aimer des hommes qui ne me font pas m’aimer. Mais je crains aussi d’aimer des hommes qui me font m’aimer. Il y a une idée de miroir. Je crains de ne pas m’aimer comme je crains de m’aimer.
Je crains d’aimer parce que je cherche un amour incandescent et rassurant à la fois, un amour qui me pousse à me réveiller le matin avec angoisse ou appétit. Pourvu que le cœur batte, malgré l’émotion ressentie.
Je crains d’aimer parce que son odeur laissée sur mes draps, ses secrets, sa voix, son regard, ses mots — surtout ses mots —, tout ce qui le compose m’ont fait l’aimer si fort que son absence m’a fait douter de ma propre présence durant des mois. Je crains d’aimer parce que je hais le chagrin des départs, des promesses avortées, promesses que j’ai déjà faites sans parvenir à les honorer. Je crains d’aimer parce que je ne sais plus où je suis quand la passion m’engloutit : dans le rêve ou la réalité ?
Je crains d’aimer parce que je mets l’amour tout en haut de ma pyramide du bonheur, à force d’avoir trop regardé Peau d’Âne et Les Demoiselles de Rochefort quand j’étais enfant.
Je crains d’aimer parce que j’aime aimer plus que tout au monde et que cet amour de l’amour me fatigue avant même d’aimer. Je crains d’aimer parce que la plupart des gens n’aiment pas vraiment, ou par sentiment de convention, et que cette quête d’âme passionnée me fait penser que je ne retrouverai plus jamais quelqu’un comme moi. Et si je ne retrouve pas quelqu’un qui vit pour brûler, je vais passer ma vie à bâiller, et cette simple idée me donne envie de me défenestrer.
Je crains d’aimer parce que j’ai aimé à en mourir des hommes qui font aujourd’hui partie de moi. Sans être vraiment là. Je crains d’aimer celui qui sera l’amour de ma vie pour son passé qui encombrera mon avenir. Comme le mien encombrera le sien. Je crains d’aimer par crainte de composer avec toutes celles qui m’ont précédée et ne feront jamais de moi la première. Je crains d’aimer, je le crains comme je l’ai écris 150 fois, et je sais que cette crainte cache un désir profond, mille fois plus fort que la peur : celui d’exister.
Je vous souhaite d’avoir peur d’aimer.
Sarah - @ladelicatessedesmots
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