Pourquoi avons-nous du mal à partir quand on n'aime plus ?
Je t’aimais et je ne t’aime plus. Ce parallélisme antithétique s’explique par une évidence déconcertante : au-delà du fait que les gens changent, parfois, ils confondent l’état amoureux avec le verbe aimer, souvent. Il fut si facile de t’oublier que l’hiver m’a semblé doux, presque aux prémices du mois de juin. C’est merveilleux et terrifiant à la fois : les saisons sont toutes les mêmes lorsqu’on n’aime plus quelqu’un. Comme si on passait plusieurs nuits entières à ne jamais jouir de rien. Pas de soupir béat, pas de plafond blanc qui se transforment en cerisier fleuri ni de frissons le long de la nuque. Tout est pareil et porte le même parfum quand on n’aime plus quelqu’un. Mais peut-on vraiment désaimer ce qu’on a aimé ? Si on n’aime plus, a-t-on vraiment aimé d’amour ou étions-nous seulement amoureux ? Pourquoi est-il si compliqué de quitter ceux qu’on n’aime plus ?
Les souvenirs des moments heureux
Au début, tout est beau. Chaque jour est un premier matin de printemps. Les nuits sont des jours et les jours sont des nuits. La notion de temporalité disparaît. En réalité, tout disparaît, même la réalité. C’est le trouble qui joue la polka dans mon esprit. Je ne savais pas que j’aimais la polka. Désormais, j’aime ça. Je ne suis plus seulement moi, je suis en surmoi. Le regard de l’autre me fait nouvelle. Ses yeux déposés sur moi me réinventent. Cette sensation me donne le goût de l’Absolu. Je suis l’Absolu. Divine. Invincible. Le bonheur, c’est cela, avoir la sensation d’être immortelle. Mon existence dépasse cette vie-là. Ma croyance émotionnelle s’ancre en moi si bien qu’elle me protège du reste du monde. C’est tellement bon d’être heureuse que j’en oublie la réalité. Mon cerveau, par le biais de l’autre, crée naturellement des souvenirs heureux. Indélébiles. Si le bonheur existe maintenant, alors je me souviendrai qu’il aura existé.
La projection avortée.
Le bonheur habite désormais chez moi, chez toi et moi, et il y a l’espoir que ça dure, que les souvenirs heureux se répètent. Nous ne sommes plus seulement deux, mais trois. La troisième personne, c’est « nous ». « Nous » existe à travers notre imaginaire et la projection du futur que nous aimerions vivre ensemble. L’imaginaire, c’est le rêve et le rêve, c’est l’espoir. Sans espoir, l’amour n’existe pas. Il faut quelque chose qui dépasse cette vie pour l’affronter et l’appréhender avec un semblant de gaieté. Ainsi, donc, les mois passent avec Je, tu, nous. Or, je réalise peu à peu que Je aime moins tu. Ou que je suis tombée amoureuse de toi sans te connaître, ce qui signifierait qu’en apprenant à te connaître véritablement, alors je ne t’aurais jamais aimé. En tout cas, pas vraiment. Le problème étant que je ne suis pas folle, les souvenirs heureux ont existé. Surtout, j’ai projeté sur toi, par toi, avec toi, des images sublimes en lesquelles je croyais. Une projection digne d’un rêve et ce rêve, je l’imagine désormais au passé. Victime de ma propre imagination, je dois avorter d’une projection qui ne se déroulera jamais.
La culpabilité (pour l’amoureux et image sociale)
Si j’aime autrui, je suis un être doté d’empathie. De fait, j’appréhende la réaction de l’autre parce que je sais la douleur et les larmes. Je préfère me dire non en lui disant oui, quitte à trouver le temps pénible en ta présence. Aussi, il y a le « nous ». Le « nous » est l’image sociale que nous avons offert au monde qui nous entoure (putain de « nous »). Et ce monde donne son avis, espère, juge. D’ailleurs, le sentiment de honte ne se provoque jamais tout seul MAIS TOUJOURS à cause du regard des autres. Il y a donc deux sentiments terribles qui se mêlent à mon incapacité de rompre : la culpabilité de faire mal à celui qui aime encore et la honte d’être jugée (toujours mal) par ceux qui ont vu naître et croître cet amour.
Effet miroir
Si je crains de rejeter l’autre, c’est aussi parce que je crains de voir que par mon geste, il ne m’aimera plus. En restant par crainte d’être désaimée, j’entretiens égoïstement un amour que je ne peux pas combler. Je ne suis pas en mesure d’accepter le rejet d’un être que je veux moi- même rejeter. Ainsi, mes blessures du passé me font croire qu’en évitant de créer chez l’autre la souffrance, je fais acte de générosité, tandis que c’est tout l’inverse ; je veux éviter la souffrance chez moi-même parce que je suis égoïste et lâche.
Frida Kahlo a écrit : « Là où tu ne peux pas aimer, ne t’attarde pas. »
Je vous souhaite d’avoir le courage de quitter ceux qui vous auraient quitté.
Sarah - @ladelicatessedesmots
je m'inscris