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L’amour et les horodateurs

Quand est-ce qu’on se voit ?

Tous, un jour, au moins une fois, on a eu aux lèvres cette phrase brûlante, qui ne dit rien et qui dit tout, qui, posant une question simple met le cœur à nu entre la langue et le palais. Tous un jour, on a attendu ou on a fait attendre. Si l’attente fait pleinement partie de la palette des émotions amoureuses, elle n’en est pas moins régulièrement frustrante, voire toujours intrinsèquement désespérante. Certes, l’attente alimente de part et d’autre le désir qu’on a de se retrouver, mais ne pourrait-on vivre l’absence momentanée de l’être cher autrement que sous la modalité d’une attente ?

Car finalement, l’obstacle ce n’est peut-être ni toi ni moi, seulement le temps, le temps qui ne coïncidait pas, qui se refusait à nous. Entre les arrangements du quotidien, la vie pressée et pressante, les métros trop lents à arriver, le trafic englué, la journée trop vite passée, il y a l’amant, il y a l’amante qu’on n’a pas le temps de voir.

Le temps peut être arrangeant, prétexte simple, basique, efficace : « Ce n’est pas moi, c’est le temps. » Mais le temps peut aussi être tragique : « Je voudrais t’aimer mais ton temps s’y refuse, sans arrêt nous nous échappons, je travaille quand tu m’appelles, tu es parti quand je t’appelle. »

Et si s’aimer, c’était cela : passer de mon temps et ton temps côte à côte à un temps que nous fabriquerions ensemble, qui nous appartiendrait.

Et si s’aimer, c’était créer le temps ? 

En acceptant l’indocilité du temps, on expérimente d’abord le conflit premier de l’être amoureux, à savoir la non continuité entre nos désirs et l’impératif du réel. Or, c’est peut-être au sein de ce conflit même qu’on tombe véritablement en amour. Si l’autre nous était toujours donné, toujours disponible, nous ne jouirions pas de la même manière de sa présence. La présence de l’autre ne serait plus alors ce « miracle » renouvelé. Car c’est d’abord en pensant à l’autre qu’on en tombe si littéralement, si intensément, amoureux. C’est parce que l’autre s’absente que nous pouvons penser à lui, s’investir émotionnellement en lui, adorer ses détails parce que le temps nous est donné de nous en souvenir et de relever méticuleusement ces petits hasards qui nous attrapent le cœur.

Ce n’était pas prévu !

En changeant de perspective, on pourrait ne plus voir la non-concordance de nos temps comme un problème, mais comme un nouveau territoire. Il deviendrait alors possible d’investir ce nouvel espace, ce répit du temps de l’amour comme un temps de liberté. Liberté de penser à l’autre, ou de ne pas penser à l’autre. Liberté prise à faire des choses seulement pour soi, avec soi.

Admettre la nécessité des intempéries calendaires, c’est aussi admettre que l’amour se vit dans la vie, c’est-à-dire avec les imprévus de la vie, les aléas, les trains en retard, le travail, le manque de sommeil, les empêchements. Il ne s’agit pas de banaliser l’amour, mais simplement de considérer que ces petits décalages du quotidien peuvent aussi être intensément poétiques, intensément vivants : merveille du hasard, du retard, du quiproquo. Créer le temps, ensemble, à deux, c’est faire sa part aux contretemps et accepter d’y vivre de temps en temps, et de continuer de s’y aimer, aussi. C’est peut-être, en fin de compte, ne pas renoncer à ce qui rend une vie vivante — imprévisible, sensible, mouvante.

Car si tout filait droit, si tout allait toujours comme on l’avait prévu, sans accrochage, sans embûches, ne finirions-nous pas par nous ennuyer un petit peu ?

J. B. 

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