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"La Covid m'a rendue monogame"

Ou : comment la Pandémie a modifié nos comportements amoureux. 

Avant mars 2020, j’étais déjà allée sur une appli de rencontre, une fois seulement, pour voir. La Covid dans mon cas a été le moment de retrouvailles avec mon ex-conjoint puis d’une nouvelle rupture, avec les raisons respectives de vouloir être deux dans le chaos puis de ne plus pouvoir se supporter, l’un sur l’autre dans mon studio. Ensuite, j’ai multiplié les rencontres via les applis. Je les ai toutes testées. J’ai vu des visages, des beaux, des moins ; j’ai fait l’amour ou j’ai fui, j’ai créé des souvenirs étranges, en tête à tête avec un inconnu en plein couvre feu, et dans la rue le silence et la police.

Ce qui me frappe, c’est la manière dont la pandémie s’est insinuée dans les rapports amoureux. Je ne suis qu’un cas sur des millions, j’ai la chance de ne pas avoir encore contracté la maladie et de ne pas souffrir d’une situation sentimentale qui me dépasse.

Ce n’est pas le cas de Lola, une femme que j’ai rencontrée et qui m’a raconté son histoire. Atteinte d’une forme longue de Covid en mars 2020, la maladie l’épuise physiquement, a transformé son corps et atteint ses fonctions cognitives. Si aujourd’hui elle a retrouvé la santé, elle n’a cependant pas retrouvé l’éclat de sa vie amoureuse. Célibataire résolue, Lola se souvient qu’elle célébrait les amours comme une fête. Il y avait les nuits éreintées à embrasser tout le monde, sur la joue, sur la bouche, les aventures sans lendemain, les idylles de vacances. Elle trouvait son bonheur dans les histoires éphémères, préférant au projet du couple la solitude douce et sans contraintes.

L’histoire de la pandémie, dans nos quotidiens, c’est celle de ces nouvelles peurs qui ont tout anesthésié. Pour Lola, la peur de contaminer les autres a paralysé sa vie sentimentale pendant six mois. Ensuite il y a eu la peur des hommes rencontrés : ils se carapataient dès qu’ils apprenaient sa maladie. Puis, la peur encore de la contracter à nouveau. Comment, dès lors, retrouver la légèreté des vacances et des fêtes, comment envisager de pouvoir, juste, embrasser cet homme qui lui plaît ?

En plus de peur, il y a la suspension contrainte du lien social. Plus de rencontres incongrues, plus de bars ou de fête, on ne peut même plus être surpris par la beauté au coin de la rue : la beauté est masquée. La vie sentimentale que Lola a trouvée, dans ce contexte, n’est pas tout à fait désirée. Elle la partage maintenant avec un homme, dont elle me dit qu’ils ont, en fait, peu de choses en commun. Depuis près d’un an ils se voient régulièrement, et bien qu’elle insiste sur sa volonté à ne pas être en couple, tout tend à l’attirer vers ce schéma que précisément elle n’avait pas choisi. Elle n’est pas amoureuse. C’est une relation douce mais sans éclat, rien ne lui fait battre le cœur et cependant, cet ami et amant est devenu son unique partenaire.

Dans nos solitudes confinées nous avons cherché à aimer, nous avons contacté nos familles, nos anciennes amours ou avons cherché d’autres détresses, des inconnus qui voudraient bien partager un peu de douceur. De nouveaux critères aussi sont venus parasiter les désirs. Pour Lola, il est devenu inconcevable d’entretenir une relation avec une personne qui ne respecterait pas les gestes barrières ou qui enchaînerait les soirées clandestines non masquées. L’homme qu’elle fréquente est assez casanier pour se protéger d’une contamination facile, il a assez de tendresse à offrir dans ce monde ébranlé ; il remplit donc les critères Covid.

Elle m’avoue pourtant que toute cette relation a un goût de compromis. L’indépendance totale que lui conférait le célibat a été remplacée par de tous petits détails du quotidien, des remarques, des réflexions, la saturation des fois d’être deux, moments d’autant plus désagréables que l’amour n’est pas au rendez-vous pour choisir de les supporter. Il y a aussi ces malaises, quand ce partenaire exprime des mots doux et qu’elle n’a pas beaucoup à dire.

Cette monogamie par défaut est devenue une sorte d’injonction dans sa vie. Alors qu’elle envisage enfin de voir d’autres personnes, l’exclusivité établie avec son partenaire plane au-dessus d’elle comme celle d’un couple qui l’aurait choisie : je ne peux pas lui faire ça, je ne veux pas lui faire de peine, etc.

Nous apprenons chaque jour à vivre avec le virus. Masques dans la rue, pas dans la rue, boîtes fermées, restaurants ouverts, attestations, doses de vaccins, passes sanitaires. Nous contestons ou obtempérons et parfois, l’immensité de ces changements ne nous fait pas voir comment nos quotidiens, nos comportements, nos désirs en sont profondément altérés. Notre libre arbitre est fragilisé et pas seulement dans nos déplacements. Nous évoluons dans une marge réduite, contraints à compromettre nos aspirations pour tenter de trouver un équilibre dans cette incertitude.

Lola a voulu que j’écrive son histoire, et nous pensons toutes les deux que ces transformations radicales dans les aspirations amoureuses sont grandement partagées depuis que la Covid a tout chamboulé. On sait par exemple qu’après le confinement, trois quart des célibataires français se disaient en quête d’une histoire sérieuse (sondage : Kantar).

La transition vers le « monde d’après » se fait à une échelle infinitésimale. Vivre avec le virus, c’est se construire dans un environnement bancal, devoir repenser ses certitudes, trouver de nouveaux idéaux. Il n’est pas simple de trouver une sorte de bonheur quand il s’agit de remettre en question tout son parcours amoureux pour l’adapter à une pandémie mondiale. Ce virus a infiltré nos corps et nos intimités ; désormais l’amour se conjugue avec les angoisses sanitaires et les doutes quant à l’avenir.

L’espoir là-dedans réside peut-être dans nos inventivités. Ecrire le témoignage de Lola m’a permis de penser ma situation comme un reflet, m’interroger sur ce qui précisément, dans mes aventures, relève du désir et de la liberté, et ce qui n’est qu’un compromis, une forme d’adaptation qui m’oppresse. Je pense à faire le tri. Je cherche comment. Nous n’avons plus les mêmes moyens pour nous épanouir, nous devons en bâtir de nouveaux ; ne pas laisser retomber l’énergie pour cela, toujours bouger les lignes, faire des essais, des erreurs, corriger et peu à peu reprendre la main sur cette vie sentimentale subtilisée. Ne laissons pas la Covid nous prendre aussi nos coeurs !

Par la rédaction adopte

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