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Avec @tasjoui, les femmes revendiquent leur droit à l'orgasme

Créé par la journaliste Dora Moutot le 17 août 2018, le compte Instagram @tasjoui devient rapidement viral et rassemble 138k abonné·e·s en quatre semaines. Sur @tasjoui, les femmes s’expriment librement, témoignent des hauts et des bas de leur vie sexuelle et revendiquent leur droit à l’orgasme.

Nous avons rencontré Dora pour parler du buzz de @tasjoui et de jouissance féminine.

À l’origine de @tasjoui

Après une vive discussion avec un homme qui affirmait que les femmes jouissent moins que les hommes parce qu’elles sont trop sentimentales et qu’elles ont besoin d’être amoureuses pour atteindre l’orgasme, Dora rétorque sur son compte Instagram personnel que la jouissance des femmes peut aussi être, tout simplement, une question de “technicité” et de connaissance de l’anatomie féminine.

Par la suite, elle reçoit de nombreux témoignages de femmes qui lui font part des difficultés qu’elles rencontrent dans leur vie sexuelle. De là découle l’idée de créer @tasjoui, une plateforme qui permet aux femmes de partager leurs expériences et de revendiquer leur droit à l’orgasme. Elles en ont assez des tabous autour de leur jouissance et du sexe égoïste qui fait de l’éjaculation masculine la conclusion du rapport hétérosexuel. Ça suffit, elles veulent jouir !

Interview avec Dora Moutot

AdopteUnMec | Selon une étude de la Chapman University, 95 % des hommes hétérosexuels ont “habituellement ou toujours” des orgasmes pendant un rapport, contre 65 % des femmes hétérosexuelles. Comment faire pour rééquilibrer la balance ?

Dora | Je crois que 65% est un chiffre très optimiste, il s’agit probablement d’une étude réalisée par des hommes (rires). Pour moi, la solution c’est l’éducation sexuelle, qui peut passer par plein de canaux différents : par l’école, par une app de rencontre, par les médias, en bref par tous les moyens possibles et imaginables. Il y a beaucoup de choses à déconstruire : il faut que les hommes comprennent l’anatomie des femmes, que les femmes s’autorisent à explorer leur sexe… On a besoin de déconstruire la société patriarcale jusque dans l’intime.

AdopteUnMec | L’orgasme féminin, c’est une responsabilité partagée entre hommes et femmes ?

Dora | Totalement. Il y a trop de femmes qui m’écrivent qu’elles ne ne se sont jamais masturbées, et même jamais “regardées”. Pourtant, c’est la base : à quoi mon sexe ressemble ? Qu’est-ce qui est agréable, qu’est-ce qui ne l’est pas pour moi ? Pas de généralités : certaines aiment qu’on leur touche les lèvres, d’autres non, certaines ont le clitoris très sensible alors il faut les toucher un peu plus haut, un peu plus bas… Si les femmes ne se connaissent pas, elles ne peuvent pas savoir par où commencer avec un homme et elles restent passives pendant le rapport sexuel. Il y a aussi trop de femmes malveillantes envers elles-mêmes : elles se trouvent trop moches, trop grosses, trop ci ou trop ça : elles refusent alors l’idée de se faire plaisir. Or il faut avoir la curiosité de soi avant d’avoir la curiosité de l’autre, et la bienveillance envers son propre corps est cruciale.

AdopteUnMec | Dans le porno mainstream, le clitoris est peu montré, peu stimulé. Est-ce que tu penses que l’éducation sexuelle par le porno est en partie responsable de la méconnaissance de certains hommes vis-à-vis du plaisir féminin ?

Dora | Très clairement, mais on ne peut pas leur en vouloir. L’éducation sexuelle à l’école tourne autour de la reproduction, des MST, de la contraception… mais pas autour du plaisir. Les hommes se tournent donc vers le porno pour s’éduquer, sauf que la culture porno n’est pas représentative de la réalité et de ce que veulent les femmes. Du coup, ils sont à côté de la plaque, ils pensent qu’ils peuvent mettre des doigts de façon hyper mécanique et brutale. En tant que femme, on se retrouve dans des situations où on doit éduquer les hommes, alors qu’on n’a pas forcément envie d’avoir ce rôle.

Que penses-tu du porno féministe ?

Dora | Je crois au porno féministe. On a besoin d’un regard de femme et il faut de plus en plus de réalisatrices, parce que les femmes aussi sont stimulées par le visuel. Par contre, là où ça pose problème, et en même temps je comprends la logique, c’est que c’est payant. Le porno féministe coûte cher parce qu’il faut que les femmes soient respectées, donc payées : c’est un cercle vertueux. Idem pour OMGYes, le site qui propose des tutoriels de masturbation sous forme de vidéos, avec un accès payant à 39€. Or les femmes ne sont pas encore prêtes à investir de l’argent dans le sexe. En fait, je pense qu’il faudrait trouver un business model comme les mecs, du streaming gratuit dans des “tubes” comme Pornhub, mais avec des sélections plus féminines. Certains tubes le font, mais c’est mal fait, et dans des environnements qui n’ont pas l’air “safe” à visiter, en tant que femme. Par exemple sur xHamster, il y a une section “porno pour femmes” qui est censée être une sélection de vidéos faite par des femmes, mais franchement, j’ai un très gros doute là-dessus. Puis xHamster, c’est un environnement très violent et déprimant.

AdopteUnMec | Avec @tasjoui, tu as mis le doigt sur un véritable phénomène de société. Après la prise de conscience, que peux-tu faire de tous ces témoignages et que peux-tu mettre en œuvre pour améliorer la vie sexuelle des femmes ?

Dora | J’aimerais bien écrire un ebook avec toutes les questions d’hommes et de femmes que je reçois sur Instagram, un guide didactique et bienveillant sur la masturbation. Les hommes me posent des questions très concrètes et pratiques sur “comment masturber une femme”, certaines femmes aussi ne savent pas par où commencer… Il y a également des hommes qui me contactent parce que leur copine se braque totalement quand ils veulent parler de sexualité. Je suis un peu le “Difool d’Instagram” (rires).

Je pensais aussi à des cercles de parole entre femmes. Souvent, des copines me racontent leurs ébats, mais avec le point de vue de l’homme. Elles me disent à quel point leur nuit était sauvage, géniale, etc. Puis quand je leur demande si elles ont joui, la réponse est moins enthousiaste.

Cependant, le grand problème, c’est le financement des projets qui ont une teneur féministe. C’est une majorité écrasante d’hommes qui détiennent le capital de la planète. Tu as un projet de documentaire sur le plaisir féminin, oui mais c’est un vieux monsieur qui n’en a rien à faire du sujet qui doit valider ton idée ; tu veux monter une start-up de sex toys féminins, oui mais tu te heurtes à des hommes qui dirigent tous les fonds d’investissement. On doit comprendre, en tant que femme, que ce capitalisme-là est mauvais pour nous et ne va pas dans notre sens. Il faut que les femmes financent elles-mêmes leurs projets, avec par exemple une plateforme de crowdfunding féministe, ce qui n’existe pas encore en France.

Pour mener à bien tous les projets que j’ai autour de @tasjoui, il me faut de l’argent. Les femmes doivent se rendre compte que les choses changeront quand elles mettront elles-mêmes de l’argent dans les projets auxquels elles croient, que ce soit @tasjoui, le porno féministe ou quoi que ce soit.

Pour aller plus loin sur Instagram

La créatrice de @tasjoui vous conseille d’autres comptes qui s’intéressent, entre autres, au plaisir féminin :

@jouissance.club
@clitrevolution
@the.vulva.gallery
@vagina_museum
@karley_slutever
@ouvra


Alice Gautreau
Article publié le 14/09/2018

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