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Amour d'été

Bleu azur, melon et citronnade, ÉTÉ. Je me fais une natte africaine qui se déroule sur ma colonne vertébrale, jusqu’au milieu du dos. Je n’avais pas fait cette coiffure depuis l’été dernier. Le roman que j’ai lu après mon café de ce matin m’a cueillie. Il parlait de Marseille au mois d’août, des amours passagères qui la traversent. Il est 17h30 et les cigales étouffent encore le silence de la montagne. Bientôt, il sera l’heure du verre de rosé au bord de la piscine avec mon père. Quelque chose de différent se passe en moi aujourd’hui, un sentiment qui n’existait pas hier ou qui, peut-être, s’esquissait dans mon sommeil sans mon consentement. Ce sentiment que je n’osais plus envisager depuis un an, par crainte ou par lassitude, nommons-le : « je suis prête à aimer ».

Ce sentiment me provoque une réminiscence immédiate. Soudain, je me revois, l’été 2018. 

J’ai vingt-quatre ans et je ne le sais pas encore, mais cet été sera le plus bel été de ma vie. C’est un mois de juillet ardent qui efface toute éclaboussure du passé. Je ne culpabilise plus d’avoir rompu, au contraire, j’ai soif d’aimer je veux recouvrir mon corps de plaisir, de baignade dans la Méditerranée, de pastis et d’escapades sous les étoiles. Il me faut un nouveau mâle à désirer, un autre croquis, mais plus travaillé, car que serait la vie sans rêves à glisser sous l’oreiller pour s’endormir le soir ? Depuis trois semaines, je discute par messagerie interposée avec un Niçois sur Adopte, qui a fait de la peinture son métier.

Je décide un jour de le rejoindre sans informer mes proches de mon secret fou. C’est un matin d’été princier, tiède, et dont la douceur assure une victoire. Mes six heures de train ne me font pas changer d’avis et, archange dans ma robe bleue, je m’en vais vivre ma vie. Il possède un appartement dans le Vieux Nice où, durant mon séjour, nous ne sortirons qu’à deux reprises pour nous baigner dans des criques. Le reste du temps est un programme sans virgule : nous fumons, discutons, chantons, jouons de la guitare, faisons l’amour et la cuisine parfois même l’amour dans la cuisine en écoutant Cesária Évora, et tout cela sans modération aucune.

Au moment de se quitter, nous le savons : il est urgent de se revoir. Nous nous le promettons à demi-mot afin de ne pas gâcher la beauté de l’imprévu qui nous a enivrés une semaine durant. Je pars pour l’Auvergne et grâce à cette rencontre, l’espoir renaît.

Quelques années plus tard, je rencontre encore un homme sur Instagram. Il s’appelle Filipo et habite en Italie. C’était l’été dernier.

Je suis en Corse avec une amie et, pour prolonger le sentiment de liberté dans lequel je baigne depuis que j’ai noué cette amitié avec elle, je discute allègrement avec quelques hommes sur Instagram. L’amitié ne fait pas tout : le sexe est libérateur et l’orgasme fait une belle peau. Comme aucun homme n’arrive jamais à la hauteur de mes amitiés, je fais parfois croire aux hommes qu’ils m’intéressent. Déplorable distraction de l’esprit fatigué d’ennui. Je me dis qu’à force d’illusion, l’une des victimes de ma détresse pourrait être incomparable. Gavée d’histoires avariées, j’ai soif, je meurs de soif de naïveté. Parmi les proies qui servent à flatter mon orgueil, une retient particulièrement mon attention.

C’est un Italien dont rêvent toutes les petites filles et qui a le prénom d’un prince. Il a trente-cinq ans et habite à une heure de Rome, dans les montagnes. La légèreté qui émane de ses photos donne envie de la goûter avec empressement. Il incarne la dolce vita, tout ce qu’il y a de plus attirant pour une fille qui ne cherche rien d’engageant. Disons que je désire la légèreté plus que tout le reste et que je ne considère rien de plus sérieux que le plaisir d’en jouir. 

À mon arrivée à l’aéroport de Rome, il m’aperçoit et dérobe ma robe des yeux. Lui n’est pas bien grand, mais son enveloppe corporelle suinte le désir. Par précaution, j’ai loué un appartement derrière le Colisée, non par crainte d’être tuée, mais par angoisse d’être coincée dans les pattes d’un homme qui ne me séduit pas. Cette angoisse s’efface comme par enchantement et nous vivons trois jours d’osmose. Je découvre la beauté de Rome, ses ruelles crades et l’orgasme culinaire. À la fin du séjour, nous prenons la route pour rejoindre sa villa, dans les Abruzzes, où il est question de prolonger le rêve.

Nous faisons un pacte : je reste chez lui tant que la cohabitation ne devient pas pénible. Notre complicité relève du miracle : elle est grandissante. Il me fait rencontrer des amis qui viennent séjourner chez lui et qui, lors des soirées tardives, nous confient le plaisir de nous regarder ensemble. Il me fait visiter les alentours de sa région en van, dans lequel nous dormons quelques nuits. Nous faisons l’amour partout ; sur les rochers d’une rivière, dans la mer, dans son van, sur son van, à même le sol. Arrivés chez lui, nous prenons des bains qui durent des heures, un verre de vin rouge à la main, et la vie est une fête, et Paris n’existe plus, et le rire a définitivement remplacé les larmes.

Après un mois de tendresse, la cohabitation n’est toujours pas devenue pénible et les sentiments naissent.

Pourquoi ne faut-il pas tomber amoureux avant l’été ? Parce que l’été a prévu mieux.

Par @ladelicatessedesmots

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